Les Larmes de Nüwa, donc; la nouvelle BD-jeu, scénarisée par Manuro ( c’est Fitz
), dessinée par Jurdic, aux éditions Makaka.
Pour faire bref, c’est un beau produit qui vaut les 17€ qu’on vous en demandera dans toutes les bonnes librairies, mais des défauts l’empêchent d’être encore meilleur.
Pour faire plus en détail,
• La couverture est très belle mais impose une première impression d’une histoire sombre et tragique, les ténèbres qui pèsent sur l’héroïne et la lame qu’elle tient rejetant les jolies fleurs dans l’insignifiance; cela en rapport avec les larmes du titre qui évoquent le chagrin et peut-être la compassion. Et la, comment dit-on, page de garde ? est dans le même esprit, avec sa tonalité verte brisée par le rouge des lampions et la larme qui coule sur le visage de jade vert de la déesse. Sauf que tout cela crée une nette dissonance avec ce qu’il y a à l’intérieur:
- le dessin est beaucoup plus schématique mais vigoureux et expressif et convenant à une ville grouillante avec de l’action
- le style de l’histoire
- quant aux larmes on pourrait aussi bien les appeler des choux-fleurs pour ce que ça change.
• LE PITCH
Dans une ville orientale - à noter que si la magie existe, la poudre noire aussi: je nous verrais équivalent 16° siècle - trois malandrins, Masanoki aux Deux Hérons ( combattant ), l’Incendiaire et Æ-cha Meng l’ensorceleuse des Monts Grenat, ont associé leurs petits talents pour dérober les six larmes de Nüwa ( des sortes de légumes sacrés censés assurer la survie de la ville ).
Une chasseuse de primes, une petite dure qui ne s’en laisse pas conter et qui a un vieux compte à régler avec l’enchanteresse ( c’est nous
), a été recrutée pour débusquer ces trois marauds et ramener autant de Larmes qu’il sera humainement possible. Et avant la tombée du jour s’il vous plaît, vu que loin de la vasque qui les abrite les Larmes vont se dessécher à grande vitesse.
• La gestion du temps devrait donc être un facteur crucial de l’aventure: on a 20 unités, pas une de plus, et quand on tombe sur un symbole Temps il faut en cocher une ( bon, je ne vais pas crayonner sur ma belle BD toute neuve mais on se comprend ). Non, sauf qu’en fait je spoile, mais quand (si) on revient au ‘point de contrôle’ du §100 et qu’il est 11 Temps ou plus c’est le moment de faire nos comptes, fini ou pas fini.
• Il y a trois ruffians à retrouver et, par une surprenante coïncidence, les grands escaliers qui mènent au Temple de Nüwa divisent la fière cité de X (
eh non, la ville où se déroule notre aventure n’est pas nommée, ça craint un peu, là ) en trois secteurs ( en réponse à une question de notre perso, on nous donne une raison plausible pour qu’ils soient restés dans le coin – à savoir, ils ont agi de nuit et ignorent avoir été repérés ).
• L’aventure est sans aléatoire mais nous devons gérer nos points de Vitalité, heureusement notre équipement inclut une potion de soins remise en avance d’honoraires; il inclut aussi deux types de poison… nous customisons également notre chasseresse par le choix d’une compétence entre trois, Déguisement, Armes de jet ou Cambriolage.
Les règles sont clairement expliquées, je pense que même un novice n’aura pas de problème ?
L’aventure se déroule sur 236 équivalents-paragraphes.
Et faites attention: il y a certains n° où se rendre qui sont écrits vraiment petit. Risque subsidiaire, une fois que vous savez ça vous allez vous tuer les yeux à chercher de minuscules n° inexistants…
• J’ai réussi pour la première fois à ma troisième tentative ( toutes les Larmes ! yeah ! ), les infos que j’avais acquises dans mes deux premiers et sanglants échecs m’ayant permis de formuler une stratégie qui a fonctionné grâce à de bons choix; j’ai ensuite rejoué pour explorer les sections où je n’avais pas été.
En toute modestie, rien qu’en voyant la carte j’avais deviné
- Spoiler:
qu’un des marauds se planquait dans les îles
• LE GAME
Cette BD-jeu n’est nullement facile ( encore heureux parce que si je raque 17€ ça n’est pas pour en finir en 5 minutes ), et parce que notre Vitalité est susceptible de filer à grande vitesse si nous ne prenons pas le parcours optimal – la potion de soins devrait quand même nous permettre de survivre si nous n’accumulons pas les erreurs - et parce qu’il faut naviguer entre les gros méchants PFA.
Encore que ce soient trois quêtes séparées, certains objets sur lesquels on met la main dans chacune sont utiles dans une autre.
Il n’y a pas un unique bon chemin pour chaque mais plusieurs, on peut parfaitement réussir en laissant de grands pans de l’histoire de côté pour une prochaine lecture.
- Spoiler:
l’excellente mini-quête supplémentaire si on a ramené toutes les Larmes !
• LE PLAY
Les choix qu’on a à faire sont bien posés, ils nous font souvent carburer un max et angoisser, c’est un facteur supplémentaire d’identification au personnage – on sent que c’est sa peau qui est en jeu ( ou, quand sa vie n'est pas directement menacée, sa réputation ). De plus,
- Spoiler:
dans les interactions avec les autres personnages, quand il y avait un choix, j'ai raisonné en me demandant ce qui convenait à la personnalité de notre chasseresse; eh bien, à partir du moment où je l'ai assez comprise, ça a marché ! Classe.
.
L’ambiance de ville orientale interlope est bien rendue.
Les rencontres bonnes ou mauvaises sont généralement bien ( mention spéciale au
- Spoiler:
naga
très bien trouvé ), jamais ratées ou vaines; on en apprend plus au fil de l’histoire sur le passé de notre personnage ( passé que je qualifierais d’assez trouble… ) et sur sa personnalité ( réussir demande une égale quantité d’intelligence et de manque de scrupules; aussi elle est très loin d'être un véhicule creux pour nos choix, on la sent vraiment bien; outre ce qu'elle dit et pense le dessin montre comment elle se tient et bouge ce qui renforce le feeling ).
Aussi, les objets qu’on découvre sont originaux et variés ( mention spéciale au Foto-Fajii ).
LES DÉFAUTS
- comme signalé plus haut, l’anonymat persistant de la ville
- certains symboles Temps sont faciles à manquer ( je pense au particulier au §176 ).
- Toujours au sujet du Temps, il y a une erreur de conception vu qu’on peut très bien clore les trois missions en 10 points de Temps. Il faudrait réécrire le §100, du style « Si votre total de Temps est égal ou supérieur à 11,
ou si vous voulez en finir dès à présent en apportant vos résultats au temple de Nüwa » ( i.e. aussi pour le cas « On en est à 5 points de Temps, il me reste 1 point de Vie, voilà deux larmes, moi je rends mes billes. » )
- le chef des voleurs devrait plutôt s’appeler Rukmin; Rukminî est la forme féminine de ce nom
.
- j’aurais quand même apprécié de savoir que
- Spoiler:
l’Incendiaire était mon ex
AVANT de me retrouver à baratiner sur son compte… et fort déçu que notre rancune envers Æ-cha soit
- Spoiler:
une histoire de mec, genre c’est une gonzesse, BIEN SÛR que c’est une histoire de mec ! J’admets certes que dans un ouvrage visant le grand public on puisse difficilement avoir une chaude histoire entre elles qui aurait mal tourné
, mais ça aurait été bien mieux si l’enchanteresse l’avait laissée pour morte ou aux bons soins de la justice après le partage d’un butin, ou quelque chose de ce genre.
- c'est logique, mais c'est un peu dommage, que
- Spoiler:
chacun des malandrins porte ses larmes sur lui, un au moins aurait pu les avoir protégées par un piège mécanique qui nous aurait forcé à avoir Cambriolage ou à perdre des points de Vitalité
- le comptage du score final est complètement incohérent, il mélange le succès dans notre mission et les achievements dépourvus de valeur pratique sans même tenir compte de ce que nous avons été payée. Il est parfaitement possible de finir avec le score minimum et se retrouver à vendre du poisson sur le port en ayant ramené les six larmes et les trois ruffians morts ou vifs ! Ouate.De.Phoque.
En fait, je ne pense pas qu’un score final listant les achievements soit une bonne idée. Fitz, sur RdV1, m’a répondu que cela inciterait les lecteurs à rejouer pour découvrir ces moments, mais il me semble qu’un bon LDVH (
et celui-ci l’est ) n’a pas besoin d’inciter en brandissant des carottes sous son nez, le lecteur désirera l’explorer de lui-même; au contraire, se faire spoiler les moments intéressants par avance tue son sentiment de découverte, lui donne le sentiment d’une expérience formatée [ oui, un LDVH est par définition une expérience formatée, mais l’art est de le faire oublier au lecteur ]. Je pense donc qu’il y a là une sérieuse erreur de conception.
- Je n'ai pas, loin de là, disséqué tous les chemins possibles au scalpel, mais j’ai la très nette impression d'un déséquilibre entre les compétences,
- Spoiler:
Armes de Jet
étant de loin la plus utile. Pas au point d'un "Tu ne le sais pas mais tu es déjà mort," plutôt "Tu ne le sais pas mais tu vas en ramer deux fois plus." Je serais curieux de savoir si d’autres lecteurs sont du même avis ?
EDIT: note résumant mon opinion telle quexposée ci-dessus:
15,5/20